Opération Opium (titre original : Poppies Are Also Flowers ou Danger Grows Wild, 1966) avait tout pour rester dans les mémoires. Jugez-en par vous-même : un film réalisé par Terence Young, sur un scénario (entre autres) d’Ian Fleming, donc un produit signé par les pères de James Bond. Et surfant sur le succès engendré par les aventures de l’agent secret britannique. Petit rappel historique : nous sommes en 1966 après le succès planétaire de 007 survenu avec James Bond contre Dr. No (1962), Bons baisers de Russie (1963) et Opération Tonnerre (1965) du même Terence Young ainsi que Goldfinger (1964) de Guy Hamilton.
Cela étant dit, le film vaut surtout pour un casting international 5 étoiles impressionnant : Yul Brynner, Omar Sharif, Marcello Mastroianni, Rita Hayworth, Angie Dickinson, Eli Wallach, Stephen Boyd, Howard Vernon, Grace Kelly, des acteurs connus à l’époque et ayant œuvré dans une multitude de films à succès tels que Ben Hur ou La chute de l’empire romain (Trevor Howard, Senta Berger, Gilbert Roland, Hugh Griffith ou encore Jack Hawkins) ainsi que le chanteur Trini Lopez jouant son propre rôle !
# Une production 100 % onusienne
Cependant, Opération Opium n’a pas connu le succès escompté lors de sa sortie en salles tant auprès de la critique que du public, ni même un semblant de notoriété par la suite. Mais il est resté cependant dans les mémoires pour une raison bien particulière : il s’agit d’un film réalisé sur commande, initié et financé (et non sponsorisé donc nuance !) par l’Organisation des Nations Unies (ONU).
Résumons tout d’abord l’intrigue : suite au décès d’un espion œuvrant contre le narcotrafic, deux agents sont envoyés par l’ONU en Iran afin de participer à une opération internationale dont le but est de démanteler un gros trafic d’opium. A la base, Opération Opium devait être un téléfilm faisant partie d’un projet plus large initié par l’ONU et englobant une série d’autres productions se rapportant aux activités de l’organisation internationale. Pour le journaliste Philippe Lombart*, l’origine du projet remonte à 1963 lorsque l’ambassadeur américain à l’ONU se fait huer par des activistes contre l’organisation mondiale alors qu’il prononce un discours à Dallas. Cet événement lui donne l’idée de mettre en place un projet de films destiné à faire comprendre ce qu’est l’ONU. Trois « téléfilms » verront le jour (Caroll for another Christmas de Joespeh L. Mankiewicz ; Who has seen the Wind de George Sidney et Once upon a Tractor de Leopoldo Torre Nilson). Le « film » de Young reste le plus important du lot puisqu’il sortira finalement en salles et non directement à la télévision. Un détail important confirme la nature engagée du projet : le cachet des superstars s’élevait seulement à 1 dollar symbolique ! Young de son côté travailla gratuitement.
Ouvrons une petite parenthèse et mentionnons que cette initiative – plutôt rare dans le monde du cinéma et de la télévision – n’est pas sans rappeler la démarche entreprise par l’ONG Médecins du Monde qui en 1988 a initié 6 téléfilms (diffusés sous le titre « Médecins des hommes » et malheureusement inédits en DVD) mettant en scène les activités humanitaires de l’organisation. Certains ont été réalisés par des cinéastes de renommée comme Alain Corneau avec Afghanistan, le pays interdit ; Maroun Bagdadi avec Liban, le pays du miel et de l’encens ; Yves Boisset avec Les Karen, le pays sans péché et Jaques Perrin avec Mer de Chine: Le pays pour mémoire[1]. De plus la plupart des interprètes sont des acteurs français de premier rang tels Michel Blanc, Richard Bohringer, Bruno Crémer, Fanny Ardent, Jacques Perrin, Jane Birkin, Robin Renucci, Marie Trintignant et même Bernard Kouchner ! Bref, la même technique utilisée par l’ONU.
# Un film doté d’une mission de service public international
A la base, Opération Opium veut être un film éducationnel vantant les mérites de l’ONU dans le domaine de la lutte contre la drogue et le narcotrafic. En tout état de cause, un film bien engagé voire selon Philippe Lombard un « film de propagande ». Mais cette fois c’est une propagande plutôt internationale puisque émanant d’une organisation internationale et non nationale comme c’est souvent le cas.
Lors du tournage, Terence Young était face à un dilemme épineux : faire un produit avec des ingrédients bondien à 100 % lui qui s’y connait bien en la matière ou plutôt un film sur l’ONU donc un film se voulant plus réaliste ? Le résultat finalement est un étrange mélange des deux. Le fonctionnement de l’ONU d’un point de vue technique et bureaucratique n’est à aucun moment mis en scène. C’est à travers les aventures des deux agents (experts ? fonctionnaires ? on s’en fout bien évidemment, l’important c’est de savoir qu’ils font partie de l’ONU !) en matière de lutte contre la drogue que le rôle de l’organisation transparaît et on a droit même à une scène montrant le palais de la paix de l’ONU à Genève. Donc on veut vanter les mérites et l’action de l’ONU, être réaliste (on est, dans une certaine mesure, loin de l’univers glamour et sexy de James Bond par rapport aux deux agents un peu Monsieur tout le monde) mais aussi faire un film rentable avec une petite dose d’exotisme et d’aventures à la Bond !
Lors du tournage, Terence Young était face à un dilemme épineux : faire un produit avec des ingrédients bondien à 100 % lui qui s’y connait bien en la matière ou plutôt un film sur l’ONU donc un film se voulant plus réaliste ? Le résultat finalement est un étrange mélange des deux. Le fonctionnement de l’ONU d’un point de vue technique et bureaucratique n’est à aucun moment mis en scène. C’est à travers les aventures des deux agents (experts ? fonctionnaires ? on s’en fout bien évidemment, l’important c’est de savoir qu’ils font partie de l’ONU !) en matière de lutte contre la drogue que le rôle de l’organisation transparaît et on a droit même à une scène montrant le palais de la paix de l’ONU à Genève. Donc on veut vanter les mérites et l’action de l’ONU, être réaliste (on est, dans une certaine mesure, loin de l’univers glamour et sexy de James Bond par rapport aux deux agents un peu Monsieur tout le monde) mais aussi faire un film rentable avec une petite dose d’exotisme et d’aventures à la Bond !
Ceci dit, Opération Opium a été commercialisé à l’international comme un film d’aventure et non comme un film à but éducationnel sur l’ONU. Il suffit de voir les différentes affiches du film bien axées « films d’aventure et d’espionnage ». De plus, on n’est pas pour autant très loin de l’univers bondien. Comme cette scène de catch féminin qui ne peut que rappeler la fameuse scène de lutte entre gitanes dans Bon baisers de Russie, le côté assez sympathique des agents, les diverses destinations cartes postales du film (l’Iran, l’Italie, Nice, Monaco), la phase finale se déroulant dans le train (vous avez encore dit Bon baisers Russie ?), les très belles femmes, et surtout le bras droit du méchant très bondien puisqu’il ne s’agit que de Harold Sakata, l’inoubliable et mythique Odjob dans Goldfinger, non armé cette fois de son chapeau guillotine (mais au moins il parle !).
L'imposant Harold Sakata
Outre un film sur l’ONU, Opération Opium est un pamphlet contre la drogue, traité de manière plutôt manichéenne : les autorités des Etats évoqués sont plutôt du bon côté et les trafiquants du mauvais côté. Le film en ce sens regorge de scènes assez moralisatrices. La plus emblématique reste sans aucun doute celle où nos deux agents visitent une prison de toxicomanes où ces derniers sont représentés comme des bêtes en cage. De plus, le film est introduit par Grace Kelly avec un monologue anti-drogue ! Précisons finalement qu’on n’atteint tout de même pas le degré des films américains d’exploitation des années 50 dit de « drugsploitation » montrant de manière grotesque les effets néfastes de la drogue et où les toxicomanes sont des psychopathes de la pire espèce.
# Un film s’inscrivant dans le contexte géopolitique de l’époque
D’un point géopolitique, le film vante les mérites d’une politique mondiale orientée vers la coexistence et la coopération (policière en l’occurrence) et laquelle l’ONU joue un rôle central et fondamental dans le domaine de la lutte contre la drogue. Mais, en plus d’être un film sur l’ONU, l’Etat iranien (lieu du déroulement de la première partie du film) y est désigné sous ses meilleures heures. C’est un Etat modèle doté de compétences nationales efficaces (représenté surtout par un agent du gouvernement incarné par Yul Bryner) mais aussi coopératif sur la scène internationale en tant que membre de l’ONU (à travers son ambassadeur représenté par Omar El Sharif, la classe !). Ceci mérite d’être soulevé ne serait-ce que par comparaison à ce qui visible de nos jours surtout dans le cinéma américain. Mentionnons au passage que peu de films d’aventures ont été tournés en Iran dans les années 60 et 70 (un rare exemple reste Missile X: The Neutron Bomb Incident, 1978) car, rappelons-le, ces années ont vu pulluler sur les écrans des films d’espionnage à la James Bond surtout européens (connus sous le nom d’Eurospy) ayant lieu toujours dans des endroits dits « exotiques » pour certains tel le Liban, la Turquie, l’Egypte. Donc au vu de ses rapports internationaux, l’Iran du Shah aurait donc pu faire l’affaire (sans parler bien évidement de la Savak).
(http://www.theguardian.com/film/gallery/2015/jul/10/omar-sharif-a-life-in-pictures)
Par ailleurs, la première Conférence internationale des droits de l’homme (1969) a eu lieu deux années après la sortie du film à Téhéran. Il est donc bien évident qu’il n’est pas question de dictature et la figure despotique du Shah est tout simplement écartée. Le paroxysme est atteint avec cette scène où le Shah est carrément mentionné sans être nommé explicitement. Lors d’une discussion sur la préparation de l’opération, un officier iranien affirme en regardant un portait du Shah : « Je sais que cette une opération est justifiée, mais elle implique la participation de notre gendarmerie et un seul homme peut décider si un éventuel succès mérite de prendre ce risque ».
En plus d’une représentation efficace de la coopération entre divers sujets du droit international, la coopération avec l’Iran a été fructueuse même pendant le tournage. Par exemple, c’est l’armée nationale iranienne qui est visible. De plus, selon Philippe Lombard, il était carrément question que le Shah fasse une apparition au début avec un message anti-drogue. Preuve à l’appui de ce qui précède, le film se conclut par des remerciements des plus improbables : « Les producteurs expriment leur gratitude et leurs remerciements à Sa Majesté Impériale, le Shahanshah ; au gouvernement d’Iran ; et aux personnes de ce pays sans l’aide desquelles ce film n’aura pu être réalisé ».
(http://rarefilm.net/poppies-are-also-flowers-1966-terence-young-senta-berger-stephen-boyd-yul-brynner-crime-drama-mystery/)
En plus d’être un film sur l’ONU, Opération Opium est un film qui s’écarte de des représentations cinématographes majoritaires (anciennes comme actuelles) optant pour une vision mettant en avant le rôle de l’Etat sur la scène internationale et donc faisant abstraction du droit international. Avec Opération Opium, c’est une société internationale plus relationnelle et institutionnalisée qui prime. En gros, un film qui met bien en valeur l’évolution de la définition du droit international public non plus comme étant un droit qui « régit les relations entre Etats indépendant »[2], mais plutôt comme un droit « constitué par l’ensemble des normes et des institutions destinées à régir la société internationale »[3].
* Certaines informations relatives à la production du film trouvent leur source dans l’entretien réalisé avec le journaliste Philippe Lombard, inclus dans le bonus de l’excellente édition DVD française sorti chez Carlotta Films en 2011.
Michel Tabbal
[1] Nous avons aussi El Salvador, le pays des quatorze volcans de Florestano Vancini et La naissance: Le pays du soleil levant de Laurent Heynemann.
[2] Cour Permanente de Justice internationale, Affaire du Lotus, 7 septembre 1927.
[3] DUPUY, Pierre-Marie et KERBRAT, Yan, Droit international public, Dalloz, 2012, p. 1.
[3] DUPUY, Pierre-Marie et KERBRAT, Yan, Droit international public, Dalloz, 2012, p. 1.
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