La question de la lutte contre le terrorisme est une thématique récurrente dans le cinéma populaire depuis les années 80 (bien qu’elle ait été exploitée depuis plus longtemps, le premier film du genre étant Sabotage d’Alfred Hitchcock), notamment dans le cinéma d’action et le thriller - pour ne citer que quelques exemples, Die Hard, (presque tous) les films avec Chuck Norris, Speed, The Siege ou Arlington Road.


Cette thématique est devenue centrale à la suite des attentats du World Trade Center du 11 septembre 2001 dans une multitude de genres allant du cinéma d’auteur au pur film de divertissement. L’un des points saillants a été l’appropriation, par les réalisateurs et scénaristes, du débat sur le respect des droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – et ce à travers le prisme, entre autres, du cinéma populaire qu’il s’agisse de blockbusters (The Kingdom) ou de séries B (The Marine 2, Stratton, Territoires).

Les dérives de la lutte contre le terrorisme, avec notamment les scandales du camp de Guantanamo et de la prison d’Abou Ghraieb, ont conduit le cinéma à une certaine prise de conscience du fait que certaines situations d’urgence peuvent (Unthinkable, Five Fingers…) ou non justifier une mise à l’écart des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Rendition, The Kingdom). Certains réalisateurs vont même jusqu’à laisser au spectateur le soin de trancher sans expliciter clairement leur position sur la question (A Civic Duty). Des œuvres vont s’attarder sur certaines violations des droits de l’homme bien spécifiques, comme l’utilisation de la torture (Zero Dark Thirty), les transferts illégaux de prisonniers (Rendition) et les atteintes à la vie privée et familiale (A Civic Duty). En tout état de cause, la palette est plutôt large : films engagés ou pas, pro-sécuritaire ou pro-droits de l’homme, abordant la question directement voire parfois même implicitement comme la série des Saw ou Hostel, le débat est là.

Préalablement aux années 2000, la question des droits de l’homme ne se posait quasiment pas dans les films qui abordaient la question ; la plupart des œuvres (notamment américaines) misaient clairement sur la sécurité nationale de manière souvent très décomplexée au détriment des droits fondamentaux. Le comble du comble est atteint dans Navy Seals (1988) avec Charlie Sheen lorsque la question des « droits de l’homme » est directement invoquée par le terroriste au cours d’un entretien télévisé « Vous ne pouvez pas envahir notre pays et parler de sécurité ; Vous ne pouvez pas envoyer vos soldats chez nous et parler de paix ; Vous ne pouvez pas tuer la famille d’un homme et parler de droits de l’homme ». A cet égard, les films qui posaient une réflexion autour du respect (ou pas) des droits de l’homme dans le cadre des opérations de lutte contre le terrorisme étaient rares voire quasiment inexistants dans le cinéma américain.

Le polar, très années 80, Nighhawks (titre français : Les faucons de la nuit) de Bruce Malmuth mérite une place à part dans la filmographie de l’époque car il aborde explicitement la protection des droits de l'homme dans le cadre des opérations anti-terroristes. La thématique principale du film est le terrorisme international, d’ailleurs le titre original devait être « ATAC », ce qui équivaut à Anti terrorist action comand. Le pitch : on suit deux policiers newyorkais en mode buddy movie, Deke DaSilva et Matthew Fox (Sylvester Stallone et Billy Dee Williams) embrigadés dans une unité anti-terroriste fédérale pour traquer un terroriste psychotique qui sévit aux Etats-Unis avec pour plan de s’attaquer au siège des Nations Unies. Le personnage, qui s’inspire clairement du terroriste Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos, est campé avec brio par l’excellent Rutger Hauer dans son premier rôle aux Etats-Unis. D’origine allemande et dénommé Wulfgar (ce qui fait également référence à la bande à Baader), ce terroriste « aime la bonne cuisine, les habits luxueux et la vie nocturne » et s’attaque, comme il l’indique, à l’ensemble de la « communauté internationale » en posant des bombes dans plusieurs Etats.

Au cours d’une longue scène, entrecoupée par les errances du terroriste, les protagonistes assistent à une formation sur les techniques à adopter pour lutter contre le terrorisme, par un « spécialiste d’Interpol », l’agent Hartman (Nigel Davenport). Ce dernier ne passe pas par quatre chemins : pour lutter contre le terroriste, il faut simplement violer les droits de l’homme et écarter toute règle existante régissant la conduite des policiers qu’il considère comme assez « mous ». L’objectif du terroriste est de « semer la peur » et l’objectif du formateur est de protéger les citoyens tout en prenant le risque de commettre des dommages collatéraux (notamment s’agissant des prises d’otage). DaSilva, lui, n’est pas de cet avis, loin de là. 
 

Les échanges houleux et très tendus entre ces deux personnages résument à eux seuls toute la dichotomie entre droits de l’homme et lutte contre le terrorisme. Pour Hartman, le crédo est donc clair : le policier ne doit jamais hésiter car « Hésiter c’est mourir ». Selon lui, certains principes – dont les « consignes de service, réticence à tirer, image auprès du public, droits de l’homme, droits civils, principe de sécurité » – sont nécessaires face aux civils, mais deviennent « catastrophiques face au terrorisme ». Les droits de l’homme – et en particulier le droit à la vie – sont dès lors tout simplement mis à l’écart. La violence est l’unique remède car « pour vaincre une personne violente, il faut réagir avec la même violence impitoyable et froide » et le terroriste ne doit en aucun cas être traité « comme un petit délinquant de quartier ». Toujours selon Hartman, la police est certes armée mais « n'a pas la libre disposition de ses armes » et « manque de pratique », ce qui lui pose un problème évident dans le cadre des opérations anti-terroristes.

DaSilva, nettement plus modéré et surtout non-violent, s’oppose à ces méthodes expéditives qu’ils trouvent « un peu exagérées » car « son devoir » en tant que policier l’empêche « de participer à un homicide involontaire ». Selon DaSilva, cette formation a pour seul but de transformer les policiers en assassins : « la seule différence entre lui (le terroriste) et nous c’est l’insigne ». Il n’a bien évidemment pas tort car la formation a pour but selon Hartman de leur « apprendre les techniques de contreterrorisme afin de rencontrer vos adversaires sur un pied d'égalité ». Le ton de Hartman monte à chaque objection de DaSilva, qui finit par se lever et quitter la salle. 
 

 
Un autre échange, plus bref, mérite également le détour. Afin de l’inciter à avoir recours à ces méthodes, Hartman, lors d’une conversation privée, rappelle à DaSilva qu’il a déjà combattu au Vietnam (le film a été tourné un an avant Rambo… !) ce à quoi il rétorque que la situation était différente car il s’agissait d’une « guerre ». Vu de nos jours, ce passage ne peut que nous rappeler la notion de « guerre contre le terrorisme » utilisée par l’administration Bush, qui avait des implications avec de véritables effets juridiques. Elle sera utilisée dans les films à venir pour écarter l’application des droits de l’homme comme dans Unthinkable (2010).

La date de sortie de ce film (1981) n’est pas anodine car l’arsenal antiterroriste des Etats-Unis n’était alors encore qu’à ses débuts et le terrorisme constituait un phénomène et une peur tout à fait nouvelle pour les américains, ce qui est clairement mis en scène dans Nighthawks. D’ailleurs le documentaire Terror in the Aisles (1984) consacré aux films d’horreur évoque Nighthawks à plusieurs reprises. La lutte bel et bien incarnée par l’agent Hartman était plutôt archaïque et les méthodes désuètes face à cette nouvelle forme de menace. D’ailleurs, ce dernier précise que « les terroristes sont peu nombreux », nous sommes donc encore à un stade embryonnaire sur le territoire américain.
Œuvre avant-gardiste ? et comment ! et bien loin de ces films sécuritaires qu’on verra les années suivantes sur les écrans. La preuve (outre les échanges précités), la scène (excellente) de poursuite dans le métro newyorkais qui confirme clairement la position de DaSilva puisqu’il ne prendra pas le risque de tirer sur le terroriste lorsqu’il prend une personne en otage en pleine foule - contrairement à son collègue qui lui demande incessamment de tirer (« Tu aurais dû tirer en premier » lui rappelle-t-il plusieurs fois). D’ailleurs, et sans spolier la fin, à aucun moment Sly ne tirera en premier et il n’utilisera son arme qu’en cas de légitime défense. Nous sommes bien loin de l’interprétation de Patrick Brion qui considère que : « l’une des morales du film est sans doute qu’un policier doit tirer d’abord… »[1]. Dans un numéro consacré à Stallone, Rockyrama a bien saisi l’essence du film : « DaSilva n’est pas d’accord, il n’est pas un tueur. Et c’est toute la problématique du film […] Sly ne fait pas sa chochotte, il a une éthique, tout simplement. Rester intègre, ne pas devenir celui qu’on traque »[2]. Et on ajoutera, une éthique certes mais une croyance dans les droits de l’homme !

L’œuvre a été vendue à sa sortie comme une série B mais l’objectif des scénaristes était à la base de proposer une véritable réflexion sur le terrorisme. Ce n’est pas ce qui a été retenu par les producteurs comme l’affirme l’auteur Paul Sylbert[3] ou encore Sly qui précise qu’il devait s’agir à la base d’une « analyse psychologique profonde du terrorisme international »[4]. Quoiqu’il en soit, cet aspect n’en demeure pas moins présent tout au long du film. De plus, outre qu’il s’agit du premier film mettant en scène Sly en tant que flic, il pose les jalons de la pensée "stallonienne" tel que décrite par David Da Silva (pas le personnage joué par Stallone, un auteur français !) dans son ouvrage Sylvester Stallone :héros de la classe ouvrière[5] : humaniste et non-violent, à des années lumières de cette personne violente et réac qu’on a voulu lui accoler en se basant uniquement sur Rambo III et Cobra et surtout la marionnette des Guignols. Bref, une filmographie qui mérite d’être revue à l’aune de la problématique des droits de l’homme. Pour ne citer que quelques exemples marquants : la réinsertion des combattants et le stress post-traumatique (Rambo First Blood), la pauvreté (Rocky), les droits syndicaux (FIST) ou encore l’abolition de la peine de mort (Lock Up). 
 
Michel Bis Tabbal


[1] Patrick BRION, Encyclopédie du film policier & thriller, USA 1961-2018, éditions Télémaque,2019, p. 337.

[2] Rockyrama, n° 17, novembre 2017, p. 46.

[3] Bonus DVD, Les faucons de la nuit, le premier jet – Entretien avec l’auteur Paul Sylbert.

[4] Rockyrama, n° 17, novembre 2017, p. 46.

[5] David Da SILVA, Sylvester Stallone, héros de la classe ouvrière, éd. LettMotif, 2016.
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