LIVRE : New York mis en scènes de Jean-Michel Frodon



Comme le souligne le dernier numéro de la revue La Septième obsession (n° 11, été 2017), la manière dont le cinéma s’empare des territoires urbains est une question majeure des études filmiques. En la matière, l’éditeur Espaces et Signes a été un pionnier en consacrant une collection aux regards des cinéastes sur des espaces géographiques. Les ouvrages déjà publiés sont à plusieurs échelles. Elles évoquent en effet soit des quartiers comme Montmartre, des pays disparus comme l’ex-Yougoslavie, étude menée par notre ami Matthieu Dhennin, des villes comme Tokyo, Bombay etc. Jean-Michel Frodon, ancien patron de la rédaction des Cahiers du cinéma, s’est attaqué à New York. Devant l’ampleur de la filmographie, on devine que la tâche a été ardue. New York partage avec Paris le titre de ville la plus filmée du monde. Blockbusters oubliables, films bis oubliés, documentaires, comédies musicales, films noirs, tous les courants ont mis en scène la « Grosse Pomme ». En outre, ville réelle et ville fonctionnelle se mélangent parfois. Allô maman, ici bébé (Amy Heckerling, 1989), censé se dérouler dans la « Grosse Pomme » a été en fait tourné à Los Angeles. 

New York, une ville fragmentée 

Force est de reconnaître que les espaces mis en scène sont souvent récurrents. Il y a une incroyable polarisation sur certains territoires comme Manhattan, alors que la ville se compose aussi de Brooklyn, du Bronx, du Queens et de Staten Island. Au cinéma, New York est ainsi souvent réduite à la skyline de Manhattan. Certains cinéastes, comme James Gray, d’ailleurs préfèrent s’éloigner de ces espaces privilégiés pour montrer un autre visage de la ville. L’auteur pointe ici une des faiblesses du cinéma d’aujourd’hui, cette polarisation sur des espaces bien connus, du moins vite identifiables par les spectateurs, sorte de vitrine touristique d’une ville réduite à un endroit soi-disant glamour. New York se retrouve donc à l’écran éclatée. Des parties signifiantes renvoient au tout, au nom d’une logique de la synecdoque. On peut prendre l’exemple de la Statue de la liberté, plan récurrent imposé par une logique illustrative (Le Cerveau, Gérard Oury, 1969), symbole de la métropole, du pays tout entier menacé par les Nazis (La Cinquième colonne, Alfred Hitchcock, 1942), voire incarnation de l‘humanité, comme le dernier plan de La Planète des singes (Franklin Schaffner, 1968) le suggère. D’autres lieux de la ville jouent le même rôle comme les ponts ou l’Empire state Building. Jean-Michel Frodon livre à cet égard une analyse stimulante du King Kong de Caldwell Cooper et d’Ernest B. Schoedsack de 1933 (p. 68-69). 

New York, ville de tous les vices 

New York n’est pas que la ville des taxis jaunes et des comédies romantiques. C’est une métropole dure. En 1988, elle a enregistré près de 2044 homicides. Le cinéma s’est emparé de cette violence, en étudiant toutes ses modalités et en remontant même à ses origines. Pour Scorsese, dans Gangs of New York (2002), la brutalité est inscrite dans l’ « ADN de la cité » (p. 46). La filmographie consacrée à cet aspect de la cité new yorkaise est aussi très vaste. La violence est pratiquée par toutes les classes (cols blancs de Wall Street, Wall Street : l’argent ne dort jamais (Oliver Stone, 2008), mafia juive (Il était une fois en Amérique, Sergio Léone, 1984), mafiosi italiens (Le Parrain, Francis Ford Coppola, 1972), etc. N’oublions pas que cette brutalité s’inscrit dans une logique de conquête et de maîtrise de territoires. À cet égard, Les Guerriers de la nuit (Walter Hill, 1979) est le film qui a su le mieux rappeler ces logiques territoriales, ces effets de frontière, ces limites invisibles qui existent dans les grandes métropoles. Cette violence peut être aussi d’origine exogène. New York est sans nul doute la ville la plus détruite au cinéma. Rappel des événements du 11 septembre (World Trade Center, Oliver Stone, 2006), mise en scène d’apocalypse d’étiologie variée, nucléaire (avec le fabuleux Le Monde, la Chair et le Diable, Ranald MacDougall, 1959), extra-terrestre (La Guerre des mondes, Steven Spielberg, 2005), voire climatique (A.I. intelligence artificielle, Steven Spielberg, 2001), au cinéma, l’annihilation de New York est toujours à venir. 

Le livre se termine sur le « souffle de la ville », évocation d’une des scènes les plus célèbres du cinéma, celle où Marilyn Monroe voit sa jupe se soulever (Sept ans de réflexion, Billy Wilder, 1955). Métaphore sexuelle, cette scène illustre le formidable « pouvoir suggestif du cinéma affectant notre regard sur une ville ». Car qui peut prétendre pouvoir contempler une bouche d’aération new-yorkaise sans songer à ce film ? Malgré une tendance ponctuelle à l’énumération, passage obligé dans un ouvrage qui entend balayer les différentes mises en scène de la métropole, le livre se lit rapidement, donne l’envie de revoir des films, d’en découvrir ou de visiter la ville. 

FRODON, Jean-Michel, New York mis en scènes, Paris, Espaces et Signes, 2016, 12 €.

Yohann Chanoir



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