Wilderness et bis international

Pour prolonger l’excellent billet de Michel sur la question de l’environnement dans le cinéma d’épouvante*, il est peut être utile de faire appel à la notion de wilderness.

Un peu d’histoire...
À l’origine, ce terme désigne dans les Saintes Écritures les étendues sauvages et arides. La littérature américaine s’en empare et en fait, notamment dans les récits de la conquête de l’Ouest, le territoire du Mal et du Malin, ces espaces où l’homme n’a pas pu et n’a pas su installer la civilisation et ses lieux de savoir (saloon, bordel, tripot...), à l’ombre d’une sainte chapelle. De la wilderness dans ce qui va devenir le western au cinéma, surgit l’Indien, intrinsèquement mauvais et pervers, qui ne va pas à la chapelle le dimanche, mange les enfants et se vautre dans des abus répétés d’eau-de-feu. On peut penser notamment à un plan fameux de La Chevauchée fantastique (1939) quand soudain de nulle part apparaissent les Indiens. De l’autre côté de l’Océan, dans la vieille Europe, la littérature gothique fait aussi de ces lieux sordides le territoire de ses créatures infernales, comme Dracula dans son château isolé. Le cinéma américain (Universal) et européen (de la Hammer à Bava en passant par notre Jean Rollin) puiseront dans cette veine pour notre plus grand plaisir.

Wilderness et grosses bêtes
Mais c’est la science-fiction hollywoodienne et le bis international qui vont faire de la wilderness une tribune pour évoquer la destruction de l’environnement. Les films de science-fiction américains connaissent leur âge d’or dans les années 50, c’est à dire en pleine guerre froide. Si le contexte est propice, avec la promptitude des scénaristes à représenter le communiste dans des créatures énormes, il est aussi approprié. Car souvent les films de S.F. dénoncent le péril nucléaire. Si au Japon maître Honda avec Godzilla rappelle les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, les réalisateurs américains reprennent la tradition du western pour faire de la wilderness le territoire de ces improbables monstres : fourmis géantes dans Les Monstres attaquent la ville, araignée gigantesque dans Tarantula, calamar monumental dans Le Monstre vient de la mer etc. La filmographie est impressionnante. Ces films, outre la dénonciation du Rouge, qui, le fourbe, se dissimule derrière ces adorables petites bêtes, évoquent les dangers de l’atome. Les fourmis du Nouveau-Mexique ont grossi à cause des essais nucléaires. L’aranéide de Tarantula a été élevé au bon lait radioactif, le calamar est devenu énorme à cause des tirs de la bombe à hydrogène pratiqués dans ce coin du Pacifique Hollywood dénonce ainsi ces savants sans conscience qui jouent les apprentis-sorciers. Se forge ainsi une tradition de méfiance à l’écran, qui reprend celle de l’opinion publique, envers les chercheurs, puis dans la foulée de 1968, les industriels. 

De la dénonciation du rouge à l’exaltation du vert
Peu à peu, la wilderness devient le symbole des espaces naturels menacés par les conséquences d’une industrialisation effrénée, d’une industrie touristique qui détruit les beautés du monde pour que les congés payés deviennent des bronzés ou accèdent à la propriété (L’Empire des fourmis géantes, avec Joan Collins en apprentie-promotrice immobilière) dans un finistère nord-américain. Là encore, la filmographie est monumentale. Cette symbolisation est d’autant plus aisée que la wilderness est polymorphe. Si elle est souvent un désert, elle peut prendre la forme d’un lac (Zombeavers) ou de l’Antarctique, voire de l’espace. Car celui-ci permet de décliner les variantes de la wilderness. Qualifié de « nouvelle frontière » par John Fitzgerald Kennedy, l’espace offre un vaste territoire à civiliser. Cela doit vous rappeler quelque chose... Mais cet espace riche en matières premières l’est aussi en endroits affreux peuplés de bêtes monstrueuses, qui viennent faire du tourisme sur terre (tel le fameux Prédator). Les expériences scientifiques pratiquées dans les endroits naturels, comme les déserts glacés, permettent aux studios de faire la synthèse entre wilderness et alien. On pense, notamment mais pas seulement, à La Chose d’un autre monde, et à son remake (The Thing) ou à un des Prédators

La saga des aventures spatiales, comme celle des Aliens, montre que dans ces planètes offertes à l’exploration humaine se cachent un danger qui est finalement fort ancien : la peur de l’Autre et la crainte de la destruction de l’environnement.

Voir La question de l'environnement dans le cinéma d’épouvante//cinemabisetdroit.blogspot.fr/2015/06/cinema-dhorreur-et-environnement.html

Yohann Chanoir, agrégé d'histoire et doctorant rattaché au Centre de Recherches Historiques (CRH, Groupe d'Archéologie Médiévale) de l'EHESS.



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