Lutte contre le terrorisme et cinéma bis engagé - Entretien avec Olivier ABBOU


Olivier Abbou est un réalisateur français. Né en Alsace, il met en scène plusieurs courts métrages (Un jour de plus, Clin d'œil, Le Tombeur) ainsi qu'un moyen métrage (Manon) primés dans de nombreux festivals. En 2007, il réalise pour Canal+ la mini-série Madame Hollywood et en 2010, il coécrit et réalise Territories, en coproduction avec le Canada et qui est récompensé par le Prix du Thriller au BIFFF 2011 (Bruxelles), Prix du public et Prix du meilleur réalisateur au festival Molins de Rei (Espagne). Territoires suit les mésaventures de cinq jeunes qui se retrouvent emprisonnés, séquestrés et torturés à la frontière entre le Canada et les Etats Unis par des douaniers psychopathes ayant servi en Irak et convaincus que les jeunes sont des terroristes. En 2011, il coécrit et réalise pour Arte, la fiction Yes We Can ! une comédie d'aventure. Il tourne actuellement une série digitale en anglais pour STUDIO+, le remake de Madame Hollywood et écrit pour Légende un teen-movie d’action. 
 
- Territoires est un pur film de survival dans la lignée de The Hills Have Eyes ou The Texas Chainsaw Massacre . Mais aussi un pamphlet contre les dérives de la lutte contre le terrorisme suite aux attentats du 11 septembre 2001. Peux-on le qualifier de d’horreur de série B  « engagé » ? Je considère qu’il s’agit du chaînon manquant entre le documentaire The Road to Guantanamo et le film à Oscars Zero Dark Thirty

O. A : Oui sûrement. Je pourrais même dire que c’est un film d’auteur d’horreur. L’idée est de faire un mix des deux : un film de genre avec un message politique en guise de toile de fond. En France, la critique s’est surtout attardée sur cet aspect politique. Mais malheureusement il a été vendu comme un torture porn dans la lignée de Saw (sous-genre du cinéma épouvante mettant en scène des personnes soumises à toutes sortes de brutalités et tortures, ndlr). Alors qu’il est tout sauf ça…

- Oui en effet, le film n’est pas en aucun cas gore comme on a voulu le vendre… 

O. A : Tout à fait, on ne voit quasiment pas de sang. Je dirais que c’est le film anti-torture porn par excellence. L’accent est surtout mis sur l’aspect anxiogène et la violence psychologique. Il suffit de voir la première scène du film qui part en crescendo, ma préférée sans doute. 

- Tu as affirmé lors d’un entretien que c’est un film « post-bush », c'est-à-dire ? 

O. A : Les torture porn sont intrinsèquement liés à l’ère Bush et à la pratique de la torture pratiquée lors de la lutte contre le terrorisme. Et mon film est l’antithèse du torture porn. Il a été conçu sous Obama, à un moment où l’on avait naïvement un espoir. Un espoir qui s’est malheureusement dissipée…


- Des références cinématographiques particulières pour Territoires

O. A : Principalement Punishment Park de Peter Watkins et au niveau du style The Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hooper. Et aussi Funny Games de Michael Haneke en ce qui concerne la question du temps réel. 

- Que penses-tu de la représentation des films traitant du terrorisme à l’écran ? 

O. A : C’est au mieux souvent caricatural et au pire de simples films de propagande comme la justification de la torture avec 24h ou l’écriture de l’Histoire officielle avec Zero Dark Thirty de Katheryn Bigelow. 

- Au vu de l’actualité, serais-tu intéressé par la réalisation d’un nouveau un film sur la question ?

O. A : J’avoue ce n’est pas évident à l’heure actuelle en France. On a vu ce qui s’est passé avec Made in France de Nicolas Boukhrief. Je pense que personne n’en a vraiment envie…

- Revenons sur la question de base, il est donc tout à fait intéressant d’aborder certains sujets sous le prisme du cinéma de genre ou des séries B ? Car aux yeux du grand public certains sujets dits « sérieux » ne peuvent être abordés que sous le prisme des documentaires ou des films dits d’auteurs ou autres films plus « sérieux »

O. A : Je ne suis pas intéresser par faire du cinéma dit « social » ou « militant ». A la base, j’aime raconter une histoire qui doit surprendre. Le cinéma de genre des années 70 était éminemment politique. Le cinéma est US est très politique. Il a toujours été un moyen pour les Etats-Unis de vendre un modèle (surtout l’American way of life, un état d’esprit – l’individualisme) ou d’asseoir son hégémonie. Les Soviétique ont bien entendu faire également la même chose dès l’apparition du cinéma. C’est d’ailleurs flagrant aujourd’hui avec Daesh qui utilise ses vidéos (de plus en plus impressionnantes et qui empruntent aux blockbusters US et aux jeux vidéos) pour recruter des terroristes. En ce sens, je te conseille de lire un passionnant article sur Daesh et le cinéma paru dans le dernier numéro de So Film

- Des références cinématographiques particulières ? Des films d’horreur ou de genre engagés qui t’ont marqué ? 

O. A : Ce qui me vient à l’esprit : The Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hoooper ou The Last House on the Left de Wes Craven qui décrit assez bien l’état d’esprit de son époque. Le cinéma parano et complotiste aussi… un film délirant avec Warren Betty sur l’Amérique parano des années 70.

- The Parralax View ? D’ailleurs tu affectionnes cette période du cinéma américain si je ne me trompe pas… 

O. A : Oui c’est ça ! Et c’est clair que cette période m’intéresse beaucoup. Comme les films de Brian de Palma et surtout Blow Out. Et sans oublier The Conversation de Francis Ford Coppola bien sûr. Des films marqués clairement par l’assassinat de Kennedy qui a changé la représentation de la violence à l’écran. En gros, une période très riche en films anxiogènes et paranoïaques. Jean-Baptiste Thoret (critique de cinéma spécialisé entre autres dans le cinéma américain des années 70, ndlr) en a consacré des passionnants ouvrages en ce sens (voir par exemple 26 secondes, l’Amérique éclaboussée). En somme des films moins ouvertement politiques que le cinéma "Dossiers de l’Ecran" (type les films de Costa-Gavras).

-As-tu été sollicité par des ONG ou par des personnes en dehors du monde du cinéma lors de la sortie Territoires ? Car je conçois aisément qu’il soit projeté dans le cadre d’un festival de droits de l’homme qui projette malheureusement souvent des documentaires … 

O. A : Non pas du tout. En double programme, ça peut même être intéressant de présenter le documentaire The Road de Guantanamo et Territoires. Surtout qu’on s’est bien documenté sur la question. Encore une fois, je considère qu’afin de parler du monde dans lequel on vit, c’est surtout à travers le cinéma de genre qu’on arrive le plus. Du moins me concernant !

- As-tu eu recours à des juristes ou des spécialistes dans les droits de l’homme ? Car ton film traite directement de questions relatives aux droits de l’homme comme la détention arbitraire, la torture, les traitements inhumains et dégradants, les exécutions sommaires, etc.

O. A : Non. On s’est documentés de notre côté. On a lu beaucoup de rapports d’ONG car les tortures présentes dans le film constituent la reproduction de ce que certains ont subi à Guantanamo. Comme les techniques de désensibilisation ou de préparation aux interrogatoires. 

- Au milieu du film, on assiste à un passage bien juridique lorsqu’un des victimes avocate en droit pénal se met à réciter des passages du code pénal relatifs à l’enlèvement, la mise en servitude et l’esclavage alors qu’un de ses bourreaux l’interroge. Pourquoi ? 

O. A : C’était pour montrer que dans cette situation, la loi n’existe plus. Pour elle, son seul rempart existant est la loi. Mais la loi et les conventions internationales comme les accords de Genève n’ont aucun effet dans les camps de Guatanamo... 

- As-tu eu des problèmes avec la censure lors de la sortie du film ?

O. A : Non pas vraiment. Bon après tout en France, il a été interdit au moins de 16 ans ce qui est un forme de censure douce (c’est le maximum en pratique, l’interdiction au moins de 18 ans étant très rare ndlr) alors qu’en Angleterre il a été interdit au moins de 15 ans et non au moins 18 ans (courante en Angleterre ndlr). Aux Etats-Unis, il n’est jamais sorti ni en salles, ni en DVD et n’a pas été projeté lors de festivals. Peut-être que ça a du les déranger qu’un frenchie les critique.


- En 2012, tu réalises Yes, We Can avec Vincent Desagnant et Henri Guybet, une sorte de comédie politique sur le prétendu kidnapping de la grand-mère d’Obama. Encore une fois un film traitant de la lutte contre le terrorisme… 

O. A : C’est une comédie dans laquelle on s’est amusés à traiter la question de la lutte contre le terrorisme de manière délirante et insolente (attention spolier) On avait prévu une fin centrée sur l’arrestation de Ben Laden et pendant le montage Ben Laden a été tué… Alors on a ajouté une scène finale où on voit le discours d’Obama prononcé lors de la capture de Ben Laden mais mis en scène de manière détournée.

- Donc c’est une comédie (encore) politique … 

O. A : Oui si on veut. L’idée était de faire un film en hommage aux comédies de duos à la française dans la lignée de Francis Verber et la comédie transgressive à la Borat. Parler du monde dans lequel on vit et donc du politique (et non pas de la politique) est important pour moi. Dans la mini-série Madame Hollywood que je suis en train de terminer, j’aborde la dictature de la beauté et du bonheur sous la forme d’un thriller par exemple. 

Propos recueillis par Michel Tabbal







1 commentaire :

  1. J'utilise ce site et j'y regarde des films https://filmstreaming.red/ C'est gratuit et la qualité y est bonne, mais ici vous pouvez voir par vous-même bien sûr

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