Après avoir brièvement évoqué
l’Inquisition et la lutte à l’hérésie au XIVe siècle à travers Le Nom de la
Rose de Jean-Jacques Annaud et la figure de Bernard Guy, le juge implacable et
sinistre qui interroge et envoie au bûcher Salvatore (l’hérétique) et la belle
sauvage (la sorcière ?) dont était tombé amoureux Adso of Melk, il est temps
d’écrire quelques lignes sur le mythique et légendaire Vincent Price incarnant
lui aussi l’Inquisiteur, mais cette fois-ci dans l’Angleterre de l’Époque
Moderne. Ah ! L’époque moderne ! Période riche, complexe, ambivalente :
l’imprimerie ne diffuse pas que la raison, mais toute sorte de superstitions et
croyances dans les phénomènes les plus bizarres. Les plus éclairés pourraient
croire qu’une femme urinant dans un champ est en train de l’empoisonner au nom
de Belzébuth (la scène est racontée par l’oncle de Zénon dans L’œuvre au noir
de Marguerite Yourcenar) ! Démonologues et chasseurs de sorcières emboîtent le
pas des bâtisseurs de l’État et de l’ordre des « Nations » (c’est le début du
véritable âge obscur de l’Humanité). Et parfois, l’homme de raison et de droit
ne fait qu’un avec le justicier des sorcières. Parfois, ils sont la même
personne. À titre d’exemple, Jean Bodin, le grand maître publiciste français,
est l’auteur, au crépuscule de sa vie, d’un ouvrage sur la sorcellerie, De la
démonomanie des sorciers, publié en 1580. Ces superstitions, qui ne servent
souvent qu’à des fins politiques, sont le fait non seulement des classes
populaires mais aussi des classes aisées. Il suffit de lire, dans la préface
dans l’ouvrage de Bodin l’exposé du premier cas de sorcellerie auquel il a été
confronté pour se faire une idée de la femme sorcière : une campagnarde «
résistante », « révoltée », gardienne d’une culture populaire et enfin victime
de la société de son temps (comme les femmes qu’on voit brûler dans Witchfinder
General). Jean Bodin est amené à se prononcer, le 30 avril 1578 (il devrait
être, en ce moment, procureur du roi à Laon et il avoue que c’est à cause de ce
procès qu’il a décidé d’écrire son traité) sur l’accusation portée contre une
certaine Jeanne Haruiller de Verberie près de Compiègne qui avait été « accusée
d’avoir fait mourir plusieurs hommes et bêtes ». En somme, une affaire
d’homicide, de prostitution et de viols qui se sont transformé en procès contre
une sorcière. Witchfinder General rend bien ce climat de délation généralisée
et de peur, et la facilité avec laquelle la justice de l’Inquisiteur sévit
impunément dans les campagnes, supportée par la population locale, se
nourrissant des luttes politiques au nom de la construction du nouvel ordre de
la société. Si nous continuons la lecture de la Demonomanie, Bodin cite, à
titre d’exemple, l’affaire d’un Curé d’un village près de Londres qui avait été
accusé de sorcellerie parce qu’il avait été « trouvé saisi de trois images de
cire conjurées pour faire mourir la reine d’Angleterre et deux autres proches
de sa personne » (rappelons qu’avant le Witchfinder General, il y a eu en
Angleterre un iconoclaste General chargé de détruire les icones réputées
idolâtres). Dès lors, comment ne pas avoir à l’esprit l’oncle de Sara, le Curé
accusé par les villageois d’être un « papiste » et torturé par l’assistant du
Witchfinder ? Le film nous montre donc les expéditions de Matthew Hopkins,
Witchfinder General, à travers l’Angleterre de l’Est, en 1645. Hopkins n’aurait
que 28 ans lors de sa mort, en 1647 (il s’agirait d’une mort naturelle, causée
par une maladie), ce qui contraste un peu avec l’image de cet homme mûr et
sévère qu’incarne Vincent Price. À cette époque, l’Angleterre de l’Est,
particulièrement puritaine, est le théâtre d’une violente guerre civile. Le film
commence en effet par illustrer ces deux thèmes qui s’entremêlent : la chasse
aux sorcières d’une part (la première scène, qui sert de prologue, montre la
pendaison d’une femme) et la guerre qui oppose les Têtes rondes, du côté du
Parlement et dirigées par Oliver Cromwell, aux Royalistes, partisans du roi
Charles Ier d’autre part (dans la deuxième scène, sorte d’introduction
historique, on voit la jeune Tête ronde Richard, tel un Clint Eastwood du
XVIIe, tirer sur l’ennemi faisant preuve d’une adresse presque innée assez
impressionnante). Suit la rencontre de Richard avec le Curé, la promesse de
mariage de Richard avec Sara, l’idylle amoureux, une moins explicite scène de
sexe, et puis finalement here comes the Witchfinder en compagnie de John
Stearne (qui parait tout juste sorti d’un film de Sergio Leone). J’aurais bien aimé placer un
morceaux des anglais Electric Wizard (I, the Witchfinder : « I’ll clean her
sins, for witchcraft I condemn her... Torture, my pleasure, true servant
of the dark... »), lors de son apparition, mais hélas, je ne peux pas refaire
du Michael Reeves, bien évidemment !
« Do you enjoy the torture, Stearne? » (Hopkins),
« And you, Sir? » (Stearne). Les pendaisons rapportent beaucoup
d’argent, on applique la loi et on suit la procédure certes, il suffit
d’obtenir des aveux. Néanmoins, je m’attendais à voir couler beaucoup plus de
sang, à de scènes de torture très dérangeantes. Il n’en est presque rien,
heureusement ! Quant aux interrogatoires et condamnations, les méthodes suivies
par Hopkins ne s’éloignent pas de données historiques. On assiste à des
pendaisons, à des bûchers et au supplice de l’eau. Et c’est tout. Si je devais
choisir la scène la plus violente du film, je n’hésiterais pas à décerner la
médaille d’or à la scène finale : Richard qui achève à coup de hache Matthew
Hopkins. Une fin qui m’en rappelle une autre... en effet, comme le fera
Jean-Jacques Annaud pour Bernard Guy dans Le Nom de la Rose, le réalisateur de
Witchfinder General a préféré, en décidant de faire mourir l’Inquisiteur sous
le coup du mari outragé, la catharsis du spectateur à la vérité historique. Et
c’est vrai que ça fait du bien. Enfin, je trouve la scène du bûcher dans le Nom
de la Rose plus effrayante que celles proposées par Reeves. C’est plutôt le
sadisme de l’assistant de Matthieu Hopkins qui dérange.
Le puritanisme et la guerre
contribuent à la mise en scène de ce climat malsain saturant le film où les
forces en lutte, d’un côté la pseudo-loi morale des défenseurs de l’ordre – les
Puritains et les Witchfinders – et de l’autre les pseudo-fauteurs d’anarchie,
de désordre et de chaos – les sorciers et sorcières, en vérité les opposants
politiques, ou les personnages incommodes –, semblent trouver enfin un
équilibre par la vengeance. The good kills the evil... mais cet équilibre est
vite rompu par l’acharnement du jeune soldat sur le corps de l’Inquisiteur ;
une fureur qui le transforme en bourreau. On voit bien que le cycle de violence
ne s’arrête pas là, le bon soldat est le puritain en guerre qui rallume le
flambeau du fanatisme. Malheureusement le film de Michael Reeves est sorti en
1968 et n’a pas pu profiter d’une bande originale appropriée... Black Sabbath
et Paranoïd ne sortiront qu’en 1970. La new wave metal anglaise n’a pas encore
accouché de The Number of the Beast et le seul groupe qui pourrait plus
s’accorder au film, l’homonyme Witchfinder General (qui n’a sorti que deux
albums connus pour leurs couvertures où une femme à moitié nue est torturée par
les musiciens plongés dans un décor rappelant, si l’on veut, le film) arrivera
bien plus tard, dans les années 1980. Tout cela pour dire que j’ai été un peu
déçu par la musique du film : elle semble empruntée aux spaghetti western,
surtout lorsqu’elle accompagne les courses poursuites à cheval dans les
prairies anglaises du XVIIe siècle (on s’attend à ce qu’un cowboy surgisse
soudainement des buissons pour tirer contre l’Inquisiteur... et d’ailleurs la
scène tournée dans la taverne où se déroule la bagarre entre le jeune soldat et
Stearne est digne d’un Bud Spencer et Terrence Hill).
A. Di Rosa