Géopolitique, droit international et Michael Dudikoff


Avec l’avènement du terrorisme international dans les années 80, on assiste à une prolifération de films d’action américains géopolitiques où se mêlent terrorisme, menace nucléaire et enjeux internationaux (avec souvent le Moyen-Orient comme cadre spatial). Cet état des choses revient surtout à la maison de production de Yoram Globus et Menahem Golan, la Cannon, spécialisée entre autres dans les films d’action de série B (le terrorisme communiste avec Invasion USA ; le terrorisme arabe avec Delta Force ; le terrorisme islamiste avec American Ninja 4 : The Annihilation ; la guerre du Vietnam avec la série des Missing in Action et Platoon Leader). La plupart de ces films sont marqués d’une part par une dimension patriotique assez poussée et par un manichéisme assez binaire où les arabes et les communistes sont souvent dépeints comme des terroristes et des criminels et d’autre part par un cadre glorifiant la négation du droit international (souvent à travers la question de l’interventionnisme). On peut citer Delta Force 2 et Deadly Heroes qui invoquent expressément la « violation du droit international » comme étant nécessaire.

Cependant, au courant des années 90, une légère modification de la donne est perceptible à deux niveaux. Premièrement, bien que l’action se déroule (souvent) dans un Moyen-Orient ultra explosif où violence et chaos règnent, on assiste à un certain infléchissement dans la représentation des protagonistes. En ce sens, une bonne partie de la population (arabe) est représentée comme étant victime d’une politique souvent liberticide de leur Etat et voulant en finir avec la violence, les guerres et le terrorisme (voir par exemple The Human Shield). Et surtout certains personnages non américains sont dépeints comme coopératifs (aux yeux des Américains surtout) et dont le rôle s’avère déterminant pour l’issue finale (positive bien évidemment). De plus, certains de ces films n’hésitent pas à représenter des américains travaillant avec les terroristes pour en tirer profit (voir Chain of Command). Citons également Cover-Up avec Dolph Lundgren où il s’agit carrément d’un attaché militaire psychopathe commettant des actes terroristes dans le but de faire porter la responsabilité aux arabes et déclencher un conflit mondial. Deuxièmement, certains films, tout en gardant un côté patriotique, mettent l’accent sur la recherche de la paix sur le plan international et on retrouve une référence souvent expresse au droit international et surtout aux Nations Unies, comme acteur de règlement des conflits. 

Outre le patriotique et républicain Chuck Norris, le sympathique Michael Dudikoff qui s’est fait connaître avec la série des American Ninja, occupe une place de premier plan dans cette catégorie de films avec Freedom Strike (1998) de Jerry P. Jacobs. Freedom Strike narre les aventures Tom Dickson, combattant des forces de l’air américaines (ou onusiennes ?) devant sauver le monde du chaos suite à des événements empêchant la conclusion d’un traité de paix entre l’Etat américain et l’Etat syrien. Ces problèmes proviennent d’un général dissident syrien ayant volé des « objets » nucléaires aux américains et voulant prendre le pouvoir. 

Légitime défense préventive et Michael Dudikoff


La question l’interventionnisme américain (le film débute et s’achève par une intervention en Syrie) n’est pas illustrée comme opérant en dehors de tout cadre juridique, comme dans la plupart des films tournés dans les années 80. Tout d’abord relevons l’accroche du film : 

« On June 3rd, 2001, the United Nations passed bill # 45-987932 approving the creation of an International Special Operation Strike Force Team to use at their disposal. 
Their purpose: infiltration of hostile environments for recovery of stolen and/or manufactured technical hardware, hostage situations, and neutralization of enemy target. 
Code Name …. FREEDOM STRIKE ». 

En ce sens, il est créé (à travers une « loi » onusienne) une force d’intervention internationale pouvant réagir selon les cas susmentionnés : menace nucléaire, prise d’otage et objet volés (!). Ces cas de figure (surtout les deux premiers) ne sont rien d’autres que la définition de la fameuse « légitime défensive préventive » souvent invoquée par l’Etat américain et une partie de sa doctrine et qui se définit comme étant « un droit d’action armée d’un Etat tendant, par anticipation, à prévenir une agression armée »[1]Quelques rappels juridiques élémentaires : selon le droit international, le recours à la force armée n’est licite qu’en cas d’autorisation du Conseil de sécurité et en cas de légitime défense[2]. Sans entrer dans les détails, rappelons que le recours à la légitime défense obéit à des conditions assez strictes. Cependant, elle a souvent été invoquée pour justifier certaines interventions armées via le fameux concept de la légitime défense préventive, rejeté toujours par la majorité des Etats et de la doctrine et qui est donc contraire au droit international. 

Or, dans Freedom Strike, la légitime défensive préventive sert de leitmotiv pour les interventions armées. Cependant, ce n’est pas sa représentation en tant que telle qui est nouvelle dans le cinéma d’action américain (elle est très récurrente dans les années 80) mais sa codification la rendant licite et donc conforme au droit international. De plus, il est à relever que les interventions se font à travers un organe permanent (Freedom Strike, créé selon, semble-t-il, une relecture très libre et bien déformée du Chapitre VII de la Charte de l'ONU) non limitée dans le temps et jouissant, surtout, de pouvoir discrétionnaire (« to use at their disposal »). On a donc une représentation libre et très large des deux exceptions au non recours à la force armée avec la légitime défense (préventive) et surtout l’aval (permanent) du Conseil de sécurité (l’ONU dans le film). En gros, une sorte de permanence du Chapitre VII de la Charte. 



Ensuite, la place prépondérante de l’Etat américain en tant que superpuissance est contrebalancée, dans une certaine mesure, par le rôle qu’occupe les Nations-Unis. Cependant, Nations-Unies et USA semblent confondus. Car lorsque par exemple les terroristes exigent le retrait de l’ONU de la Syrie, ils s’adressent aux Etats-Unis. De plus, la force d’intervention créée par l’ONU semble être purement américaine et l’affiche du film est assez révélatrice sur la question. Mais, contrairement aux films tels Navy Seals ou Delta Force 1 et 2 où les forces d’intervention sont purement et formellement américaines, dans Freedom Strike, elle constitue d'un point de vue formel une sorte de force « internationale » comme l'atteste le film (bon on aurait aimé voir le drapeau de l'ONU sur l'affiche...). Cette référence aux Nations Unies dans le film, même si déformée et pouvant faire rire n'importe quel juriste, n'est pas chose commune dans le cinéma américain de ce genre. Elle pourrait peut-être être expliquée par la conjoncture de l'époque liée à la fin de la guerre froide et au retour de l’ONU sur la scène internationale après la paralysie du Conseil de sécurité pendant plusieurs années. 

« Traité de paix arabe » et Michael Dudikoff 


Ensuite, la place du droit international transparaît également à travers la place importante que prend le traité dit « traité de paix arabe » ou « Arab World Peace Treaty ». Car, toute l’intrigue et les problèmes commencent au moment de la signature du traité lorsque deux individus arrivent à pénétrer dans la salle où est censé avoir lieu ladite signature et tirent à travers des stylos à billes (!) sur le président syrien en lui logeant une balle radioactive (!) dans son ventre (il s’en sortira à la fin et bien évidemment le traité sera signé). Une scène à elle seule résume l’importance accordée contre toute attente à cet instrument et qui représente une discussion entre un marine et son supérieur. 

- Le marine : « Avec tout mon respect, je ne sais pas comment un bout de papier (le traité) écrit par nous peut mettre un terme à une guerre qui nous ravage depuis 200 ans ! » 
- Son supérieur : « Peut-être tu as raison, mais quelqu’un doit commencer quelque chose (…) c’est une première étape et qui sait ? Peut-être le reste sera moins difficile ».

L’issue positive du film avec la signature du traité ne peut que refléter une vision des relations internationales plus pacifiée. A cet égard, le processus conflictuel est illustré par la recherche de la paix[3] dont l'issue est d’aboutir à un système international reposant sur la coopération (pour comprendre cette nuance il suffit de voir Freedom Strike d’affilée avec Delta Force ou Navy Seals). Il est noter qu’on retrouve Michael Dudikoff dans une multitude d’autres films du même genre au courant des années 90 comme Chain of Command (1994) où l’action se déroule dans un Etat arabe imaginaire, le « Qumir » ; Counter Measures (1998) réalisé par Fred Olan Ray où Dudikoff se retrouve dans un sous-marin pris d’assaut par des terroristes russes réfractaires et nostalgiques de la guerre froide et The Human Shield (1991) réalisé par Ted Post où l’issue positive du film se fera à travers les kurdes et surtout la femme du tyran iraquien et ex-copine (dans le film) de Dudikoff au passage.

Freedom Strike fait partie de cette multitude de films d’action américains patriotiques (dans les années 90, ils sortent directement en vidéos) mais se différenciant sous certains aspects des films d’action du même genre des années 80 (et qui sont les plus connus du grand public). Donc bien qu'étant patriotique, Freedom Strike ne va pas pour autant ériger la négation du droit international comme étant la norme mais mettre en scène une certaine référence au droit international qu’elle soit américaine et contestée (la légitime défense préventive codifiée) ou pas (importance accordé aux organes onusiens et surtout aux traités). En d’autres termes, et pour conclure nous pouvons dire que avons donc deux phases de films d’actions géopolitiques : une première phase illustrée par la confrontation et incarnée par Chuck Norris (la série des Delta Force et Missing in Action) et une seconde phase où la coopération est l’issue finale et incarnée par Michael Dudikoff et dont Freedom Strike constitue le parfait exemple.

Michel Tabbal



[1] Jean SALMON, Dictionnaire de droit international public, Bruylant, 2001, pp. 642-643. 
[2] Voir Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. 
[3] Pour la distinction entre processus conflictuel et processus de coopération en relations internationales, V. BRAILLARD, Philippe, DJALILI, Mohammad-Reza, Les relations internationales, PUF, Paris, 9e éd., 2012, pp 102-119. 

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