Contrairement à ce qu’écrivent plusieurs historiens du cinéma[1], la Renaissance du film de Viking n’a pas lieu en 1958[2]. Ce n’est pas Les Vikings, chef d’œuvre de Richard Fleischer, avec Kirk Douglas, qui inaugure le revival mais un film bis, The Saga of the Viking Women and Their Voyage to the Waters of the Great Sea Serpent réalisé en 1957 par Roger Corman.



Où sont les hommes ? (Patrick Juvet, Les Cahiers du Cinéma, décembre 1957)


Nous sommes en pleine ère Viking. Toute la Scandinavie batifole allègrement pour enfanter des petits Ragnar. Toute la Scandinavie ? Non ! Car un petit village résiste à l’appel de la chair. Et pour cause… les hommes ne sont pas rentrés de leur dernière expédition. Les femmes Vikings décident donc, après un vote au lancer de javelot… de partir à leur recherche. Elles arment un drakkar et s’élancent sur le vaste Océan, hélas gardé par un serpent de mer peu commode. L’infâme créature précipite leur navire sur une terre inconnue, peuplée par une population barbare, les Grimault. Pas libidineux pour un denier, ceux-ci décident de réduire les belles Nordiques en esclavage...





Le Barbare de tous les bis : Roger Corman

Né en 1926, Roger Corman commence sa prolifique carrière en 1955. Il se fait connaître, mais pas reconnaître, comme un réalisateur capable de tourner vite, avec des budgets étriqués. Touche à tout, il aborde toutes les filmographies. Ce film lui permet de se confronter à la fois aux films de monstres, qu’il connaît bien, et aux productions sur le Moyen Âge. En 1957, la ferveur du Moyen Âge à Hollywood est passée. Les superproductions comme Quentin Durward (Richard Thorpe, 1955) malgré leur casting de rêve n’attirent plus les foules. Les aventures médiévales sur grand écran deviennent donc un sujet périphérique, marginal, et de ce fait, deviennent peu à peu l’apanage du bis. Les Italiens adapteront ainsi dans des productions savoureuses les sagas d’Ivanhoé et de Robin des Bois. Corman, lui, s’attaque à un courant filmique jusqu’ici réservé aux Scandinaves : le film de Viking.

Une Scandinavie… californienne 


Pas question pour lui de tourner dans les fjords norvégiens ou sur les littoraux danois. Il reconstitue donc une Scandinavie en pleine… Californie, sur les plages de Santa Monica et de Malibu. Les scènes d’intérieur sont, elles, tournées soit en studio soit en extérieur. Quant à la neige, indispensable pour évoquer cette contrée septentrionale, elle apparaîtra en arrière-plan, sur une toile peinte, avec des montagnes élevées recouvertes de flocons blanchâtres à leurs sommets. Bref, on est incontestablement dans une production désargentée, où le système D remplace le d du mot dollar. Le film échappe toutefois aux stéréotypes habituels sur les Vikings. L’amateur de comics ne verra pas de guerriers hirsutes avec des casques à cornes sur la tête. Au contraire, ces Scandinaves sont des Californiens pur jus, hâlés, fraîchement rasés (mais la barbe passe mal avec le noir et blanc) au physique de sauveteurs, digne de la série Alerte à Malibu.

Un Moyen Âge de supermarché


Si l’amateur de bis trouvera du plaisir à la vision de ce film, l’historien médiéviste en perdra son latin. Car Corman dynamite la chronologie médiévale. Les donzelles vikings sont habillées comme des Amazones. Le chef barbare est vêtu à la sauce tartare tandis que certains de ses guerriers évoquent plutôt des citoyens de la Rome antique ou en toc. Le drakkar (en fait le nom de la figure zoomorphe en proue ou en poupe du bateau viking) est une barque affublée de boucliers, d’époque Eisenhower, style Nixon. Le gouvernail, doté d’un dessin d’un dragon asthmatique (le dragon, pas le dessin, quoique…), ne résiste même pas à la mise à l’eau, mais cela met de la tension dans la scène. Vous l’aurez compris, Corman fait feu de tout bois.



Les Vikings face à un cousin de Godzilla

Le monstre vaut à lui seul le détour. Attraction centrale, il est présent et à l’aller et au retour. Nous sommes trois ans après la sortie de Godzilla d’Ishiro Honda. Force est de constater qu’entre les deux créatures, il y a comme un petit air de cousinage. Mais Corman n’est pas encore digne du maître Honda. Les trucages low-cost ne parviennent pas à convaincre. L’usage de la surimpression ne dissipe pas le côté grotesque de la bête, et le jeu peu convaincant des vikinguettes n’arrange rien. La mort du monstre à la fin du film (désolé de spoiler), d’un seul coup d’épée avec une giclée de jus de fraise bien épais, achève le spectateur qui y croyait encore. L’essentiel, toutefois, n’est pas là.


Barbares versus Vikings

Qu’on ne s’y trompe pas, dans ce titre, les Vikings ne sont pas les barbares. Ce sont les Grimault qui occupent ce rôle ingrat. Qualifiés de « païens » (!!) par les Vikings, ils en possèdent tous les attributs : la violence, le goût des beuveries, le sexe sauvage et les sacrifices humains. Dans une terre pourtant frappée par l’oliganthropie, ces Grimault sacrifient ainsi la seule femme de leur château pour accompagner le fils du chef dans un monde qu’on dit meilleur. Les Scandinaves sont parés, eux, de vertus positives, hormis la brunette (qui s’oppose au groupe des blondes) dans un schéma classique abondamment employé par le péplum. La brune, qui ne veut pas compter pour des prunes, dans un atavisme géographique implacable, sacrifie au Syndrome de… Stockholm et pactise avec les barbares contre son peuple. Mais, rassurez-vous, la rédemption existe aussi au pays de Corman. Elle retrouve une conscience à la fin du film et se sacrifie pour que les hommes et les femmes de son peuple, enfin réunis, retournent gambader gaiement dans la grande prairie de la vie en couple.

En définitive, cette production est une curiosité. Elle intéressera les bisseux, les fans de Corman et ils sont nombreux, sans oublier les historiens du Moyen Âge au cinéma, en rendant à Corman ce qui appartient à Corman, son rôle pionnier.

Yohann Chanoir (To be continued)

[1] Dans son dernier ouvrage sur le Moyen Âge au cinéma, François Amy de la Brétèque, par exemple, ne le mentionne pas. 
[2] Il existe un film américain de 1928, (Les Vikings) en Technicolor bichrome, évoquant une expédition viking en Amérique, où les guerriers du Nord sont accompagnés d’un Anglais.
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